Politique et langage sont, comme l’a montré Aristote (Les Politiques), inséparables : l’homme est un animal politique parce qu’il est doué de langage (logos) et le fait qu’il soit doué de logos en fait un animal politique :

« La voix est le signe du douloureux et du nuisible, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu’au point d’éprouver la sensation du douloureux et de l’agréable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible et par suite aussi le juste et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres notions de ce genre. Or avoir de telles notions en commun c’est ce qui fait une famille et une cité ».

  • Distinction entre la voix et le langage : le langage ne sert pas qu’à exprimer des affects ou des pensées subjectives, mais aussi à échanger à propos de valeurs morales et politiques, de notions censées valoir pour plusieurs personnes ;
  • Il n’y a pas de cité sans discussion et sans échange sur ce qui est juste en soi (et non seulement pour moi), sans la création d’un espace public de dialogue, même conflictuel.


La Grèce a fondé la démocratie sur la notion d’isègoria : égalité du droit à exprimer publiquement son avis sur les choses publiques.
À partir de cette problématique, on peut mettre en valeur :
- La dimension conflictuelle du langage, qui engage des relations de pouvoirs.

  • Dans son combat contre la rhétorique (Gorgias), Socrate s’oppose aux positions de Polos (la rhétorique est un outil de pouvoir pour le tyran) et de Calliclès (la rhétorique est indispensable dans la politique, jeu de positions de pouvoirs) : la justice et le bien ne peuvent être atteints par la violence des mots. Platon met en garde contre la dimension « ensorcelante » du langage (Sophiste) qui influence les âmes (Phèdre), au moyen de la persuasion.
  • Le discours est à la fois « ce pour quoi on lutte » et « ce par quoi on lutte », car dominer le langage, c’est dominer les « processus d’exclusion », fixer des tabous et des interdits (Foucault, L’Ordre du discours).


- La dimension consensuelle du langage : toute expression linguistique suppose au moins la possibilité et la prétention à se mettre d’accord avec son interlocuteur ; dans le discours argumentatif, les interlocuteurs doivent surmonter « la singularité initiale de leur conception » et garantir « l’unité du monde objectif et l’intersubjectivité de leur contexte de vie grâce à la communauté de convictions rationnellement motivées ». L’argumentation rationnelle est donc la forme idéale d’une politique pacifiée et constructive (Habermas, Théorie de l’agir communicationnel).