Nous percevons d'une œuvre ce qui nous est donné à voir et parfois à toucher. Les empâtements d'une œuvre de Van Gogh ou les glacis (fines couches de peinture à l'huile superposées, colorées, transparentes et lisses) d'un Titien ne seront pas perçus de la même façon selon la distance du spectateur. Les sculptures d'Anish Kapoor provoquent même un passage entre une perception visuelle à un désir haptique comme pour être au plus près de l'œuvre. Des œuvres, peuvent jouer sur l'homogénéité, comme, en peinture, celles de Rogier van der Weyden ou d'Yves Klein, ou au contraire sur l'hétérogénéité des textures, des effets et des matérialités afin de moduler la perception comme les œuvres de Kurt Schwitters ou Anselm Kiefer.

La perception d'une œuvre dépend aussi de son dispositif de présentation. Une sculpture posée au sol comme La Supermarket Lady de Duane Hanson ou sur un socle monumental comme La Victoire de Samothrace au Louvre ou encore sous vitrine à hauteur des yeux d'adulte comme La Petite Danseuse de quatorze ans d'Egard Degas à Orsay seront perçues différemment : la présence d'un socle ou non aura avec des incidences sur la réception par le spectateur. Comme pour la matérialité des œuvres, il faut les admirer en vrai, in situ, pour que perception et réception soient totalement en éveil.

La dématérialisation des œuvres lors de leur diffusion dans des catalogues d'exposition ou en ligne ne retient et ne propose qu'un rendu visuel et selon un seul point de vue, celui du photographe. Les rendus des sculptures, en ronde-bosse ou les effets de matières des empâtements picturaux, par exemple ne peuvent être reproduits. Les relations que les œuvres entretiennent avec leur contexte et les spectateurs ne peuvent s'éprouver que devant, autour ou dans l'œuvre. Voir une reproduction des Nymphéas de Claude Monet sur la page lisse d'un catalogue ou les admirer, en immersion dans une des salles ovales du musée de l'Orangerie sont deux perceptions et réceptions de la même œuvre totalement différentes.

La dématérialisation peut aussi être le rendu final de l'œuvre, lorsqu'elle est numérique. Son immatérialité constitutive prendra donc corps selon les murs et écrans de projection, interface ou appareils de diffusion. Permettant une plus large accessibilité à la culture et à sa diffusion, elle questionne tout autant les modalités de sa présentation et de sa réception. La série Carré magique de Miguel Chevalier propose des QR-codes de 1 x 1 m qui une fois flashés avec un smartphone (ou tablette) connecté donnent accès à une liste de mots empruntés à l’ère numérique. Le spectateur accède à un ailleurs, un au-delà de l'image exposée : sa présence devant l'œuvre est questionnée.