Le monde des images forme-t-il une image du monde ?
1. Pour que le monde des images forme une image du monde - vraie ou fausse -, il faudrait que sa cohérence fût suffisante.
A. La visibilité d'une image est proportionnée à sa cohérence interne. C'est donc parce qu'elle est comme un monde qu'une image est visible. Cf. Helmut Newton, Self-portrait with wife and models, 1981.
B. Certes une image doit être cohérente. Mais cela suffit-il ? La cohérence est une condition nécessaire quoiqu'insuffisante de la formation d'une image. Cf. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 1921, propositions 2.0211 et 2.0212 : « Si le monde n'avait pas de substance, il en résulterait que, pour une proposition, avoir un sens dépendrait de la vérité d'une autre proposition. » N'en va-t-il pas de même pour une image ? Wittgenstein poursuit : « Il serait alors impossible d'esquisser une image du monde (vraie ou fausse). »
C. Si la cohérence, entendue comme compatibilité interne de parties, est une condition de formation d'une image d'une monde, mais n'en constitue pas le fondement, il en résulte à plus forte raison que la pluralité des images du monde - « le monde des images » - ne saurait prendre forme et se constituer de façon strictement cohérente : comment pourrait-on exiger d'une pluralité d'images ce que l'on peine parfois à trouver en une seule ? Cf. Herbert List, Lycabettos, 1937.
2. « Le monde des images » n'est donc qu'une métaphore dissimulant un foisonnement pictural irréductible.
A. Le monde des images ne peut être compris comme une somme, parce qu'on ne peut sommer des éléments hétérogènes d'une part, et parce que, d'autre part, les éléments d'une somme sont commutatifs salva veritate. Or, on voit mal ce que serait la commutation d'images de résolutions, d'échelles ou de genres distincts. La forme du monde des images n'est donc que celle d'une compossibilité, au sens faible. Cf. Edgerton, Tennis Player, 1938.
B. Cette compossibilité minimale des images n'est donc qu'un « jeu de langage » (Wittgenstein, Recherches philosophiques) trouvant son origine contingente dans « un air de famille » (ibid.) iconique. Il en résulte que l'expression « monde des images » expose de manière forcée la pluralité des images comme un monde. Mais il ne s'agit donc que d'une métaphore, et pas d'une expression dont la rigueur littérale pourrait être attestée.
C. Dès lors, « le monde des images » - expression conservée par défaut - ne forme pas, en tant que tel, une image du monde. Ne pouvant constituer non plus un échantillon du monde, il en est un réseau de fragments dont la difficulté résiduelle est celle de leur insertion dans ce monde, c'est-à-dire notre monde, ce seul monde. Cf. la mapemonde des Cassini au milieu du XVIIIe siècle, selon une projection ellipsoïde.
3. Ainsi, puisque la forme du monde des images n'est pas suffisante pour former une image du monde, peut-être est-ce chaque image « qui exprime tout l'univers à sa manière » (Leibniz, Discours de métaphysique, 1686, §9).
A. Toute image, mimétique ou non, est un fragment du monde inséré en lui, pour un certain usage. Cette insertion locale singulière confère à chaque image son unicité. Dès lors, chaque image est une occurrence insérée dans un réseau d'images, sans réversibilité. Si le modèle du « monde des images » est la mosaïque, alors il faut comprendre qu'aucun des fragments de cette mosaïque n'est révocable, ni substituable, quoique la mosaïque dans son ensemble ne soit pas complète, voire incohérente. Cf. B. Peeters et . Schuiten, La Tour, 1987 et La fièvre d'Urbicande, 1985.
B. Chaque image, par son insertion singulière dans un réseau iconique exprime « à sa manière » (Leibniz, Discours de métaphysique, 1686, §9) le tout dont elle participe, sans pour autant former ni une image du monde ni, avec les autres images, un authentique « monde des images ». Cette exposition du visible, localisée et non substituable, est moins une forme, qui supposerait un achèvement, une structure, un ordonnancement arrêté - en un mot, un monde - qu'un mouvement dynamique d'expression. Cf. Escher, Print Gallery, 1957.
C. Dès lors, puisqu'il n'est pas nécessaire que ce qui exprime soit semblable à la chose exprimée, et puisqu'il suffit « pour l'expression d'une chose dans une autre qu'il existe une loi constante des relations par laquelle les éléments singuliers de la première pourraient être rapportés aux éléments singuliers qui leur correspondent dans la seconde » (Leibniz, Sur le principe de raison, 1705), on peut soutenir que « comme une ville regardée de différents côtés paraît tout autre et est comme multipliée perspectivement » (Leibniz, Monadologie, 1714, § 57), il arrive de même que, par la multitude infinie des images, « il y a comme autant de différents univers, qui ne sont pourtant que les perspectives d'un seul » (ibid.), ce qui n'implique pas qu'il y aurait un quelconque monde des images, mais seulement que le réseau infini des images exprime le monde.