Aristote, dans le De Anima, a soutenu une thèse importante : « on ne peut pas penser sans images (phantasmata) ».
Par phantasmata, Aristote entend :
- « un mouvement qui se produit sous l’effet de la sensation » : un résultat de la sensation, qui la suppose comme sa condition de possibilité ;
- Cette image peut survivre à la sensation et représenter l’objet lorsqu’il n’est plus présent : « l’on peut se représenter quelque chose d’absent comme présent, comme si on l’avait devant les yeux » ;
- L’image est moins matérielle que la chose sentie : ce sont comme « des impressions sensibles, mais sans matière » (III, 8, 432a9-10).
Les enjeux de cette thèse sont de montrer :
- Qu’on ne peut pas penser les concepts indépendamment des réalités sensibles. L’image est un appui pour penser au concept et ce dans quoi nous le pensons : « sans l'exercice des sens, on ne peut rien apprendre, ni comprendre, et lorsqu'on pense, cela implique nécessairement et en même temps qu'il y ait pensée de quelque image (phantasma) » (III, 8, 432a3-10) ;
- Que la pensée est toujours dépendante du corps, même si elle peut penser des choses qui ne sont pas saisies par le seul corps (comme des réalités abstraites) ;
- Que nous pouvons penser à des choses absentes, pour la connaissance ou pour notre action pratique : c’est une image de ce qu’il faut faire ou fuir qui est à l’origine de nos désirs et de nos actions.
Qu’elle soit théorique ou pratique, la pensée suppose une chaîne causale qui remonte au monde sensible, comme point de départ :
- On ne peut avoir accès à des notions universelles sans avoir eu l’expérience sensible des individus.
- Lorsque je pense à une notion générale, comme à la notion de triangle, il est impossible que je pense à cette notion sans me former, en même temps, des images de triangle.
Ces images ne sont pas, toutefois, l’objet visé par la pensée. Lorsque le géomètre réfléchit sur le triangle en général, il y réfléchit sans quantité ou mesure déterminée ; mais il ne peut s’empêcher d’accompagner sa pensée d’une représentation qui possède une telle quantité déterminée. On retrouve une structure de négation : on pense, à l'aide d'une image, à autre chose.
La mémoire fonctionne de la même manière : on pense, à travers une représentation, à autre chose, comme lorsqu’on utilise un portrait pour réfléchir à propos de celui qu’il représente :
« il faut concevoir l’image qui est en nous à la fois comme quelque chose par soi et comme l’image de quelque chose d'autre. En tant donc qu'il est par soi, il est objet de contemplation ou une image, mais en tant qu'il est une image de quelque chose d'autre, il est comme une copie et un souvenir » (De la Mémoire et de la Réminiscence, 1, 450b24-27).