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Entraînement - Thème 2024 : La violence

Sujet : L’autorité contrarie-t-elle la violence ?

De quelle autorité parle-t-il, ce général inconnu, le 18 juin 1940, sur les ondes d’une nation alliée mais étrangère ? Qui autorise son discours, lui qui appelle « les officiers et les soldats français, qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes », « les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec [lui] » ? De Gaulle était conscient de la difficulté, comme en témoignent les premiers mots qu’il prononce : « Le Gouvernement français a demandé à l’ennemi à quelles conditions honorables un cessez-le-feu était possible. Il a déclaré que, si ces conditions étaient contraires à l’honneur, la dignité et l’indépendance de la France, la lutte devait continuer ». La lutte doit donc continuer… selon les termes mêmes d’un Gouvernement que De Gaulle prend à ses mots. Manière discrète, aussi, pour le général esseulé, de ne pas rompre avec le gouvernement français ; manière de laisser ouverte, voire d’inviter à une possible continuation du combat comme sur ordre du gouvernement de la République, comme autorisé par ce gouvernement. Cette espérance – si c’en était une – fut trahie. Il n’empêche : rédigeant les Mémoires de Guerre, De Gaulle précise : « J’avais le devoir de vérifier qu’aucune autorité plus qualifiée que la mienne ne voudrait s’offrir à remettre la France et l’Empire dans la lutte ». Ainsi, l’autorité – et d’autant plus si elle appelle au combat – doit être qualifiée. C’est dire que nulle autorité n’existe par soi : une autorité est reçue, transmise, constituée, c’est-à-dire reconnue. Elle n’ordonne plus, alors : elle appelle seulement, et cet appel recèle davantage de force morale qu’un ordre catégorique qui émanerait d’une autorité usurpée. Il y a donc un mystère de l’autorité, que l’on nomme parfois « charisme ». Mais nommer les choses ne suffit pas à en rendre raison : il y a surtout, dans l’autorité, une relation ambiguë à la force. Forte, l’autorité l’est, et doit l’être. Mais toute force ne confine-t-elle pas à la violence ? Derrière l’énergie, le « charisme » peut-être, d’une puissance bien formée, ne soupçonne-t-on pas, parfois à juste titre, une violence dissimulée ? Car la violence et l’autorité entretiennent un air de famille qui les rend ressemblantes – trop ressemblantes. L’autorité ne serait-elle donc que le masque de la violence ? Ou plutôt, si autorité et violence entretiennent une relation dialectique, au moins en apparence, c’est peut-être parce que la première ne saurait subsister sans la seconde, alors qu’elle est censée en récuser l’exercice. Pas d’autorité sans violence, dans la pire hypothèse, mais pas non plus d’autorité sans contention de la violence, dans le meilleur des cas, c’est-à-dire sans récusation a priori de toute forme de violence. Si l’autorité est une puissance légitime, respectée sans nécessité d’un recours à la force, elle devient alors non seulement contraire, mais même contradictoire avec la violence. En revanche, si l’autorité se réduit à une simple concentration du pouvoir de décision, rien ne garantit, hélas, qu’elle parviendra à se détacher de toute violence. L’autorité semble donc simultanément contrarier la violence et entretenir, de façon latente, la possibilité toujours renouvelée d’y recourir. Faut-il donc soutenir que l’autorité répugne à la violence, ou que, de façon ambiguë, elle en maintient discrètement l’usage ? L’autorité contrarie-t-elle véritablement la violence ? L’autorité parvient-elle effectivement à conjurer la violence ? À y contrevenir ? À la contrarier ? À la contredire ?

1. L’autorité, par nature, est une restriction de la violence. Elle la contient et la conjure.

1.1 L’autorité renvoie étymologiquement à l’auteur : est auteur celui qui est responsable, c’est-à-dire revendiquant avec succès pour lui-même la production d’un acte ou d’une parole – ainsi, De Gaulle le 18 juin 1940. L’idée d’autorité est donc originellement étrangère à celle de violence, voire contraire à elle : l’autorité renvoie d’abord à la notion de responsabilité, avant de fonder celle de rayonnement ou de puissance.

1.2 Il en résulte que si l’autorité est d’abord la reconnaissance d’une responsabilité, elle contient et conjure la violence par la force de son rayonnement : c’est parce que l’autorité est avant tout comprise comme l’exercice d’une responsabilité qu’elle est respectée, et que ce respect tient à distance la tentation de la violence. De l’autorité émanerait donc une « aura », force symbolique et assez peu explicable, dont la fonction sociale et morale serait de conjurer a priori toute violence, ou a posteriori d’arbitrer tout conflit. Dans ces deux cas, l’autorité apparaît comme une puissance de contrariété – sinon de contradiction – de la violence.

1.3 Reste que cette « aura » mystérieuse et supposée ne saurait dissimuler la contingence des conditions institutionnelles et sociales d’exercice de l’autorité, qui constituent autant d’occasions favorables – la diffusion de la BBC sur les ondes longues fréquences en 1940 – ou défavorables à l’exercice de l’autorité. C’est donc moins, peut-être, l’aura de l’autorité qui explique sa force, que des aléas sociaux, des conditions techniques, qui favorisent – ou défavorisent – son exercice. Ce réalisme ne réduit pas la légitimité de l’autorité, mais conduit à l’envisager comme un phénomène strictement social, dépourvu de tout mystère d’exercice. Ainsi, quand l’autorité parvient à conjurer la violence, à la réduire, ce n’est peut-être pas par elle-même, ou à elle seule qu’elle rencontre ce succès, mais aussi par un ensemble de circonstances favorables moins directement perceptibles, dont l’importance dans la conjuration de la violence est aussi importante, voire plus importante, que l’autorité en elle-même. En ce sens, l’autorité n’est souvent que l’occasion d’une conjuration de la violence, et non pas sa cause.

2. De manière plus inquiétante, l’exercice de l’autorité ne peut-il pas, lui aussi, se métamorphoser en violence ? Est-ce bien d’ailleurs parce qu’il y a violence que l’autorité serait nécessaire pour la contrarier ? N’est-ce pas plutôt parce qu’il y a autorité, et excès d’autoritarisme, que la violence s’embrase ?

2.1 Car si l’autorité contrarie parfois la violence, la contredit-elle véritablement ? La contredire impliquerait une incompatibilité absolue de l’autorité et de la violence. Or, la dérive violente de l’autorité est subreptice, mais bien réelle, dans de nombreux cas : cette dérive commence sans doute par l’exercice d’une violence symbolique, puis morale. L’intensification de la violence morale ouvre la porte à une acceptation, pourtant moralement inacceptable, de la violence physique qui lui fait suite. Ainsi, l’autorité semble ne pas parvenir à se soustraire à la fascination envers la violence, voire à une complaisance envers elle.

2.2 Cette complaisance de l’autorité pour la violence est d’autant plus affirmée, voire reconnue, qu’elle se justifierait par sa qualité de moyen : la violence serait, prétend-on, le seul moyen de lutter contre la violence – n’en déplaise à Gandhi, à Lanza del Vasto ou au général Jacques Pâris De Bollardière, qui ont non seulement théorisé l’inverse, mais l’ont mis en œuvre avec succès. Ainsi, soutenir que la violence est le seul moyen à la disposition de l’autorité pour conjurer la violence n’est bien souvent qu’un argument ad hoc, justification complaisante, par l’autorité, de sa propre faiblesse, ou aveu implicite d’une fascination larvée pour la violence. Une autorité digne de ce nom, au contraire, ne reconnaît qu’avec répugnance qu’il lui a fallu recourir à la violence pour la contrer, et seulement par défaut.

2.3 Peut-être même, parfois, est-ce parce que l’autorité ne mérite plus son nom que la violence s’embrase. Autorité illégitime parce qu’excessive ; autorité caduque parce qu’usurpée ; autorité tyrannique qui n’autorise rien, ce qui ouvre nécessairement la porte à tout. Certes, cette déchéance de valeur de l’autorité ne saurait suffire à justifier la violence comme recours à son encontre ; il n’en reste pas moins que l’autorité, en affirmant sa puissance à défaut de légitimité, voire de légalité, ne peut que susciter une réaction – sorte de réponse sociale à l’illégitimité – qui passe par la violence, ou qui l’implique, ou encore qui l’intensifie. La colère d’Achille, dans l’Iliade, n’est-elle pas juste ? Le roi des rois, Agamemnon, n’abuse-t-il pas de son pouvoir ? Il est vrai qu’ici c’est moins par une violence en retour qu’Achille répond, que par un retrait du combat. Mais ce retrait du chef des Myrmidons n’entraine-t-il pas des déboires sans fin pour les Achéens ? Roi des rois excessif et tyrannique, Agamemnon n’embrase-t-il pas la violence en retour, dont il connaîtra la cruauté seulement à son retour auprès de sa femme et de ses enfants ?

3. Car l’autorité, sous sa forme pure, ne saurait être confondue avec la violence : à l’inverse, le recours à la violence atteste d’un échec de l’autorité.

3.1 H. Arendt, en 1954, dans « La crise de l’autorité », repris dans le recueil intitulé La Crise de la culture, met en garde contre une confusion fréquente et fâcheuse : « puisque l’autorité requiert toujours l’obéissance », écrit-elle, « on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence. Pourtant, l’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition ». Ainsi, le recours à la violence serait le symptôme d’un échec d’exercice de l’autorité. La violence commise par une autorité constituée serait le signe de sa faiblesse, voire le point de départ raisonnable d’une contestation de sa légitimité.

3.2 H. Arendt ne s’en tient pas à cette critique implicite de l’excès d’autorité, où la violence est le recours aberrant d’une autorité qui ne mérite plus son nom. L’autorité, remarque-t-elle sans critique, est aussi « incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un processus d’argumentation » ; « là où on a recours à des arguments, l’autorité est laissée de côté » soutient H. Arendt, qui en conclut que « s’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments ». Dès lors, l’autorité est comme une médiation entre deux genres distincts dont elle ne doit pourtant pas participer, sous peine de se perdre : la violence d’une part, la parole égalitaire, d’autre part. Cette distinction oblige H. Arendt à inscrire son argument dans une perspective historique : le progrès de l’idée d’égalité, depuis plusieurs siècles, au moins dans la culture européenne, n’implique-t-il pas une érosion inéluctable de l’autorité ? Qu’en résulte-t-il pour la violence ?

3.3 Une réponse trop rapide reviendrait à soutenir que l’érosion de l’autorité, comprise comme une « hiérarchie » dont celui qui commande et celui qui obéit reconnaissent chacun « la justesse et la légitimité » (ibid.) entraînerait un resurgissement de la violence. Fellini s’en amuse, dans le film expérimental Répétition d’orchestre, en 1978, qui met en scène la révolte de musiciens contre le chef d’orchestre. Une réponse plus rapide encore, peut-être rassurante moralement mais culturellement assez naïve, soutiendrait qu’il faudrait rétablir l’autorité perdue pour régler la violence. Ce n’est pourtant pas le sens de la position de H. Arendt, qui constate, avec toute la finesse d’une analyse historique précise, que l’érosion d’une conception sacralisée de la hiérarchie est irréversible ; de surcroît, les sociétés anciennes, hiérarchisées, cherchaient certes à régler leur violence par un recours sacralisé à l’autorité, mais la violence dont elles demeuraient porteuses n’était pas inférieure – voire était nettement supérieure –, toutes choses égales par ailleurs, à celle de la culture contemporaine. De sorte que céder à la nostalgie d’une autorité « restaurée » qui contrarierait la violence est une naïveté culturelle. On ne renverse pas par décision des processus culturels séculaires. C’est plutôt du côté de la persuasion par l’argumentation que notre culture tend désormais : l’égalité, qui sous-tend toute argumentation, sera-t-elle assez forte pour juguler la violence ? Ce n’est pas certain, certes. Car répondre à la violence par l’argumentation seulement ne satisfait pas, en nous, un désir immédiat de rétorsion, c’est-à-dire de violence en retour. Mais c’est bien dans cet effort moral incertain, pourtant sans naïveté et sans concession, que se jouent aujourd’hui les Lumières, s’il est vrai, comme le soutient H. Arendt dans La Crise de la culture, qu’« avec la disparition de l’autorité, le doute général de l’époque moderne a envahi également le domaine politique ».

Entraînement - Thème 2023 : Le monde

Le monde des images forme-t-il une image du monde ?


1. Pour que le monde des images forme une image du monde - vraie ou fausse -, il faudrait que sa cohérence fût suffisante.

A. La visibilité d'une image est proportionnée à sa cohérence interne. C'est donc parce qu'elle est comme un monde qu'une image est visible. Cf. Helmut Newton, Self-portrait with wife and models, 1981.

B. Certes une image doit être cohérente. Mais cela suffit-il ? La cohérence est une condition nécessaire quoiqu'insuffisante de la formation d'une image. Cf. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 1921, propositions 2.0211 et 2.0212 : « Si le monde n'avait pas de substance, il en résulterait que, pour une proposition, avoir un sens dépendrait de la vérité d'une autre proposition. » N'en va-t-il pas de même pour une image ? Wittgenstein poursuit : « Il serait alors impossible d'esquisser une image du monde (vraie ou fausse). »

C. Si la cohérence, entendue comme compatibilité interne de parties, est une condition de formation d'une image d'une monde, mais n'en constitue pas le fondement, il en résulte à plus forte raison que la pluralité des images du monde - « le monde des images » - ne saurait prendre forme et se constituer de façon strictement cohérente : comment pourrait-on exiger d'une pluralité d'images ce que l'on peine parfois à trouver en une seule ? Cf. Herbert List, Lycabettos, 1937.

2. « Le monde des images » n'est donc qu'une métaphore dissimulant un foisonnement pictural irréductible.

A. Le monde des images ne peut être compris comme une somme, parce qu'on ne peut sommer des éléments hétérogènes d'une part, et parce que, d'autre part, les éléments d'une somme sont commutatifs salva veritate. Or, on voit mal ce que serait la commutation d'images de résolutions, d'échelles ou de genres distincts. La forme du monde des images n'est donc que celle d'une compossibilité, au sens faible. Cf. Edgerton, Tennis Player, 1938.

B. Cette compossibilité minimale des images n'est donc qu'un « jeu de langage » (Wittgenstein, Recherches philosophiques) trouvant son origine contingente dans « un air de famille » (ibid.) iconique. Il en résulte que l'expression « monde des images » expose de manière forcée la pluralité des images comme un monde. Mais il ne s'agit donc que d'une métaphore, et pas d'une expression dont la rigueur littérale pourrait être attestée.

C. Dès lors, « le monde des images » - expression conservée par défaut - ne forme pas, en tant que tel, une image du monde. Ne pouvant constituer non plus un échantillon du monde, il en est un réseau de fragments dont la difficulté résiduelle est celle de leur insertion dans ce monde, c'est-à-dire notre monde, ce seul monde. Cf. la mapemonde des Cassini au milieu du XVIIIe siècle, selon une projection ellipsoïde.

3. Ainsi, puisque la forme du monde des images n'est pas suffisante pour former une image du monde, peut-être est-ce chaque image « qui exprime tout l'univers à sa manière » (Leibniz, Discours de métaphysique, 1686, §9).

A. Toute image, mimétique ou non, est un fragment du monde inséré en lui, pour un certain usage. Cette insertion locale singulière confère à chaque image son unicité. Dès lors, chaque image est une occurrence insérée dans un réseau d'images, sans réversibilité. Si le modèle du « monde des images » est la mosaïque, alors il faut comprendre qu'aucun des fragments de cette mosaïque n'est révocable, ni substituable, quoique la mosaïque dans son ensemble ne soit pas complète, voire incohérente. Cf. B. Peeters et . Schuiten, La Tour, 1987 et La fièvre d'Urbicande, 1985.

B. Chaque image, par son insertion singulière dans un réseau iconique exprime « à sa manière » (Leibniz, Discours de métaphysique, 1686, §9) le tout dont elle participe, sans pour autant former ni une image du monde ni, avec les autres images, un authentique « monde des images ». Cette exposition du visible, localisée et non substituable, est moins une forme, qui supposerait un achèvement, une structure, un ordonnancement arrêté - en un mot, un monde - qu'un mouvement dynamique d'expression. Cf. Escher, Print Gallery, 1957.

C. Dès lors, puisqu'il n'est pas nécessaire que ce qui exprime soit semblable à la chose exprimée, et puisqu'il suffit « pour l'expression d'une chose dans une autre qu'il existe une loi constante des relations par laquelle les éléments singuliers de la première pourraient être rapportés aux éléments singuliers qui leur correspondent dans la seconde » (Leibniz, Sur le principe de raison, 1705), on peut soutenir que « comme une ville regardée de différents côtés paraît tout autre et est comme multipliée perspectivement » (Leibniz, Monadologie, 1714, § 57), il arrive de même que, par la multitude infinie des images, « il y a comme autant de différents univers, qui ne sont pourtant que les perspectives d'un seul » (ibid.), ce qui n'implique pas qu'il y aurait un quelconque monde des images, mais seulement que le réseau infini des images exprime le monde.

Entraînement - Thème 2022 : Aimer

1. L'amour de soi, distingué de l'amour-propre, semble bien « [naître] avec l'homme » et « ne le [quitter] jamais ».

1.1. En effet, l'amour de soi est fondé sur le souci de se conserver, alors que l'amour-propre, comme le soutient Rousseau dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, trouve son origine dans les comparaisons désastreuses que la vie sociale favorise. Travail d'un exemple romanesque : le personnage de Swann dans À la recherche du temps perdu de Proust.

1.2. Toutefois, la différence entre amour-propre et amour de soi est une différence de degré : l'amour-propre partage plusieurs propriétés avec l'amour de soi ; l'apparition de l'amour-propre ne fait pas disparaître l'amour de soi. Travail d'un exemple cinématographique : le personnage de Camille dans Le Mépris de Jean-Luc Godard.

1.3. Dès lors, il s’agit d'un seul et même amour, dont la présence est universelle ; la distinction entre amour-propre et amour de soi est précaire. Travail d'un exemple théâtral : Noces de Sang de Lorca.


2. Toutefois, toutes nos passions ne sauraient trouver leur « source », leur « origine » et leur « principe »  dans l’amour de soi.

2.1. Rousseau concède, dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, que la pitié, vertu naturelle, est aussi puissante que l'amour de soi : elle l’équilibre. Travail d'un exemple romanesque : le personnage de Julie dans La Nouvelle Héloïse de Rousseau.

2.2. En outre, il est difficile de ramener toutes les passions à l’amour de soi et à la pitié ; il faut renoncer à dériver nos passions d'une seule ou de deux, qui seraient originaires. Travail d'un exemple cinématographique : les personnages de l'oncle et du grand-père dans Little Miss Sunshine de Faris et Dayton.

2.3. Dès lors, l'amour de soi ne joue sans doute qu'un rôle discret, voire résiduel, dans ce que nous appelons « aimer » : l'amour connaît des modalités nombreuses irréductibles à l’amour de soi. Travail d'un exemple romanesque : l'amour du chevalier Des Grieux pour Manon dans Manon Lescaut de l'Abbé Prévost.


3. Enfin, il convient de réexaminer la proposition rousseauiste selon laquelle l’amour de soi « ne quitte jamais [l’homme] ».

3.1. En effet, si l’amour de soi « ne quitte jamais » l’homme, ce n’est pas le cas de l’amour-propre, que la raison en nous peut – et même doit, à juste titre – « humilier », comme le soutient Kant dans la Critique de la raison pratique. Travail d’un exemple théâtral : la découverte de soi dans Le Voyageur sans bagage de Anouilh.

3.2. En outre, l’amour de soi ne peut-il s’abolir dans une logique sacrificielle, où notre passion l’emporte sur le moi qui en est la source ? Travail d’un exemple cinématographique : le personnage de Bess dans Breaking the Waves de Lars Von Trier.

3.3. Dès lors, l’amour de soi ne mérite peut-être pas son nom d’amour ; car il est moins riche que l’amour, et l’amour ne saurait sans dommage être réduit à lui. Travail d'un exemple romanesque : la relation des personnages de Robinson et Vendredi dans Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier.
 

Entraînement 1 - Thème 2020 : Le désir

Peut-on désirer sans souffrir ?

1. Par nature, désirer serait souffrir. Désirer impliquerait nécessairement de souffrir.

  • Souffrir, étymologiquement, c'est subir (cf. en castillan, sufrir qui signifie subir). Par-delà cette étymologie commune, le lien entre souffrance et désir semble de fait un lien trop fréquent pour n'être pas nécessaire. Cf. Romeo & Juliet de Shakespeare.
  • « On ne désire pas ce que l'on ne connaît pas. » (Ovide, Art d'aimer, III, 397). Distinction des deux types de souffrance liées au désir : l'attente ou la désillusion.
  • Ainsi, plus fondamentalement, le réel, dans le désir, est appréhendé comme manque radical ou comme absence : le réel est en défaut. Cf. Platon, Le Banquet.

 2. (Pourtant,) la morsure du désir n'est pas strictement réductible à une douleur et le lien d'une notion à l'autre semble contingent.

  • Possibilité d'un affect lié au désir, mais qui ne soit pas pour autant souffrance ni douleur. Le désir comme médiation vers la joie.
  • Or, si cela est possible, c'est que « désir », fondamentalement, est mouvement vers ou aspiration à. D'où alors provient la souffrance qui semble inéluctable dans le désir ? Peut-être pas du désir lui-même, mais de l'image que l'esprit se forme de l'objet du désir.  
  • C'est l'image de l'objet du désir qui serait vecteur de souffrance, et non le désir lui-même. Travail des représentations comme enjeu éthique pour le désir (Épicure, Lettre à Ménécée).

3. La « souffrance » du désir pourrait donc être tout autant un moteur de l'action humaine, et une ouverture de la conscience à ce qui l'excède. D'où l'hypothèse radicale d'un désir exempt de souffrance.

  • Le désir comme accroissement de soi, et non comme réduction. Rousseau, La Nouvelle Héloïse.
  • Le désir comme producteur de réel, engendrant la réalité qui, par ailleurs, fait défaut. Désir comme moteur de l'être et vecteur de la construction de soi. Spinoza, Éthique, livre IV.
  • Le désir comme propre de l'homme : la précession chronologique du désir sur la souffrance signifie la contingence de leur lien et la possibilité radicale de dissociation des deux. Spinoza, Éthique, livre V, dernière proposition : ce n'est pas la vertu qui conduit au bonheur, c'est le bonheur qui permet la vertu.

Entraînement 2 - Thème 2020 : Le désir

Vaut-il mieux changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde ?

1.     L'alternative proposée n'est pas exclusive.

  • Explicitation du problème et du sens des termes : ordre du monde : ordre physique du cosmos et de la nature ? Ordre social et politique de la société ? ; chacun des termes est posé comme norme de l'autre : soit les désirs constituent une norme de l'ordre du monde, soit l'ordre du monde norme les désirs. 
  • Incompatibilité entre transformation des désirs et ordre du monde ? Pourquoi l'un des deux membres de l'alternative exclurait-il l'autre ? Exemple : le désir d'émancipation des femmes implique des bouleversements politiques et sociaux.

2. Changer ses désirs présuppose que nous soyons libres de le faire. Discussion.

  • Possibilité d'une maîtrise de ses désirs  par la volonté : la connaissance du mécanisme des passions permet au sujet de maîtriser son corps-machine pour en utiliser les ressources et accroître son pouvoir et sa liberté. Descartes dissocie la nature – l'ordre mécanique (lien avec la notion « d'ordre du monde ») –où règne le déterminisme le plus strict, de la conscience par laquelle l'homme met la nature à distance et pour ainsi dire la jauge.
  • (objection) Diderot, Pensées philosophiques, § 1 à 5 : les passions sont notre essence. Une vie sans passion n'est pas une vie authentique et ne mérite pas
    d'être vécue. Dès lors, à quoi bon changer nos désirs, même si cela est possible ? Argument par l'absurde : même s'il était possible de changer nos désirs, le résultat en serait désastreux et constituerait une négation de notre humanité.
  • (seconde objection) Impossibilité d'une maîtrise : peut-on changer ses désirs ? Ne sommes-nous pas conditionnés par eux ? Ainsi, à titre d'exemple, l'hypothèse freudienne, qui affirme le caractère inconscient de certains désirs : le moi n'est plus maître chez lui. Dès lors, le désir survient en nous tel un destin, ce à quoi on ne peut rien changer.

3. Changer l'ordre du monde présuppose qu'il y a un ordre mondain. Discussion.

  • Il existe un ordre naturel du monde : ordre cosmique des stoïciens, ordre divin et intelligible de Descartes. Cette structure stable permet d'en prendre connaissance (sciences) et de l'utiliser selon nos propres fins (techniques). Dès lors, il est possible de transformer cet ordre. Plus modérément, il
    vaudrait la peine de changer l'ordre du monde, même marginalement.
  • Il existe un ordre social : obéit-il à des normes divines ? L'ordre des sociétés n'est-il pas soumis aux rapports de forces ? Des rapports de force qui
    sous-tendent une domination et se dissimulent sous une prétention d'ordre ? Il est possible de ne pas cautionner un désordre établi, une tyrannie injuste. Thèse : l'ordre mondain est précaire.
  • Existe-t-il seulement de l'ordre ? Notion psychologique rassurante projetée sur la nature. Fantasme humain : pour retrouver dans la nature et en société de quoi se sécuriser. Thèse : il n'y a pas en soi d'ordre mondain, même naturel.

Entraînement 1 - Thème 2019 : La mémoire

Devoir de mémoire et droit à l’oubli

I. Devoir de mémoire et droit à l’oubli constituent deux exigences sociales analogues.

1. Devoir de mémoire et droit à l’oubli sont des exigences contemporaines et conjointes. Cf. Pierre Nora, Les Lieux de Mémoire.

2. Les fondements de l’un et l’autre sont juridiques, voire judiciaires : la répression des des crimes contre l’humanité d’une part, la notion de prescription d’autre part. Cf. Lemkin, « Le Crime de Génocide » (1946, American Scholar).

3. Devoir de mémoire et droit à l’oubli sont deux revendication touchant à l’identité, collective et individuelle, et visant à en délimiter les contours par un récit ou un silence signifiant. Cf. Ricoeur, Temps et Récit.

II. Toutefois, l’analogie de ces exigences ne peut masquer leur dissymétrie.

1. La grammaire de leurs concepts est distincte : un devoir n’est pas un droit. Cf. Hohfeld, Fundamental Legal Conceptions.

2. Le devoir de mémoire est toujours collectif et doit fédérer ; le droit à l’oubli est toujours individuel et vise à singulariser celui qui s’en réclame. Cf. Le Bon, Psychologie des Foules.

3. L’antériorité du devoir de mémoire sur le droit à l’oubli indique une relation causale entre eux, et non une corrélation : le second est peut-être une réaction aux excès du premier. Cf. Nietzsche, Deuxième Considération intempestive.

III. Une telle dissymétrie nous convainc que devoir de mémoire et droit à l’oubli devraient être avant tout compris comme désir de mémoire (plutôt que « devoir ») et, dialectiquement, désir d’oubli (plutôt que « droit à »).

1. Le « devoir » de mémoire est moins devoir que besoin collectif ; or désirs et besoins, à l’échelle collective, sont indiscernables. Cf. Levi, Les Naufragés et les Rescapés.

2. De même le droit, entendu comme technique procédurale, se prête mal à l’oubli, qu’il essaie pourtant de garantir. L’oubli relève plutôt d’un désir contradictoire. Cf. Borges, « Funes ou la Mémoire », Fictions.

3. Toutefois, une réduction du devoir de mémoire et du droit à l’oubli à des désirs serait problématique : abandonnées à l’arbitraire de la subjectivité, ces deux exigences pourraient se corrompre. À l’inverse, une excessive institutionnalisation les stérilise. Cf. Todorov, Mémoire du Mal, Tentation du Bien.

Entraînement 2 - Thème 2019 : La mémoire

À quoi sert la mémoire ?

I. La mémoire assure d’abord notre orientation éthique dans l’existence présente. 

1. Elle nous aide à discriminer le bien du mal au niveau individuel, la mémoire étant une fonction essentielle de la conscience. Cf. Bergson, Matière et Mémoire.

2. Elle nous permet de discerner le juste de l’injuste au niveau collectif. Cf. Levi, Si c’est un Homme

3. Toutefois, cette fonction éthique est précaire, parfois inopérante, voire contre-productive quand elle inhibe l’action. Cf. Nietzsche, Deuxième Considération intempestive

II. La mémoire exerce ensuite une fonction sociale de continuité dans l’imputation d’actes et la mise en œuvre de nos responsabilités.

1. Sans mémoire, aucune sanction – récompense ou punition – ne serait légitime. Cf. Diderot, Entretien de Diderot et d’Alembert.

2. Cette mémoire sociale concerne autant les témoins de l’acte que son auteur, par sa fonction d’exemplarité. Cf. Platon, Protagoras.

3. Toutefois, cette notion judiciaire d’imputation, fondée sur une mémoire, entre parfois en conflit avec le travail d’interprétation de l’historien. Cf. Stéphane Audoin-Rouzeau, Une Initiation.

III. La mémoire autorise enfin le maintien de l’identité personnelle.

1. La mémoire permet le récit biographique, constitutif d’une identité narrative. Cf. Ricoeur, Temps et Récit.

2. Un tel maintien de l’identité personnelle n’a pas de sens par la mémoire seulement, mais par son ouverture vers un ensemble de possibles : cette tension temporelle entre mémoire et anticipation caractérise la conscience humaine. Cf. Husserl, Phénoménologie de la Conscience intime du Temps.

3. Ainsi la mémoire est-elle condition nécessaire mais insuffisante de l’identité : ce résultat peut être étendu au niveau collectif, où les notions de mémoire et d’identité sont conjointes. Cf. Pierre Nora, Les Lieux de Mémoire.

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