Le rapport entre la littérature et l’image peut-être :

  1. Externe : un texte littéraire se rapporte à des images déjà existantes qu’il décrit ou évoque ;
  2. Interne : un texte produit une image dans l’imagination du lecteur.

La production d’une image, à travers des processus de descriptions, dans l’imagination du lecteur se nomme hypotypose. Il s’agit de faire voir par les mots, de transformer l’écoute et la lecture en vision d’un tableau mental
Dans la rhétorique ancienne, une telle pratique était nommée enargeia ou évidence. Le but est de produire une vision ou imagination à laquelle on ne peut résister, de manière à poser la chose évoquée par les mots « devant les yeux (ante occulos) ». Dans sa Défense et illustration de la langue française, le poète Joaquim Du Bellay (1549) insiste sur « l’énergie » du discours, qui s’obtient, entre autres :

  • Par la description détaillée d’un objet ;
  • Par la description multi-sensorielle d’une scène ;
  • Par l’insistance sur les mouvements et les actions : cf. Aristote, Rhétorique, III : « fait tableau tout ce qui signale un être en activité » ;
  • Par l’insertion, dans la description, d’un spectateur fictif qui met en abyme la position du lecteur.

L’exemple classique d’hypotypose est la description, par Théramène, de l’apparition d’un monstre devant Hippolyte, dans le Phèdre de Racine (Acte V, scène 6) :

À peine nous sortions des portes de Trézène,
Il était sur son char ; ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés ;
[…].
Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes ;
Ses superbes coursiers qu’on voyait autrefois
Pleins d’une ardeur si noble obéir à sa voix,
L’œil morne maintenant, et la tête baissée,
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
Des airs en ce moment a troublé le repos ;
Et du sein de la terre une voix formidable
Répond en gémissant à ce cri redoutable.
Jusqu’au fond de nos cœurs notre sang s’est glacé ;
Des coursiers attentifs le crin s’est hérissé.
Cependant sur le dos de la plaine liquide,
S’élève à gros bouillons une montagne humide ;
L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d’écume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes ;
Tout son corps est couvert d’écailles jaunissantes,
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux ;
Ses longs mugissements font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage.

On commentera le fait que l’hypotypose :

  • peut avoir pour objet une scène fictive ;
  • bénéficie d’un usage des temps (imparfait de description et présent de narration) qui produit un arrêt sur image et une sensation de présence ;
  • repose sur la constitution de spectateurs internes au récit (les compagnons d’Hippolyte, mais aussi les éléments, comme « le ciel ») ;
  • insiste sur les affects qui frappent ces spectateurs, donc le lecteur ou spectateur de la scène.