Lucrèce fournit une conception matérialiste de l’image, aussi bien de l’image perceptive que de l’image mentale, à travers sa doctrine des simulacres (De la nature des choses, Livre IV) :
Les choses envoient de leur surface des pellicules fines qui se propagent jusqu’à l’œil. Ces simulacres sont pensés par analogie avec la mue d’un serpent et les membranes : elles sont isolément invisibles, mais l’œil voit leur effet groupé. Comme une membrane, les simulacres sont :
- fins,
- conformes à ce dont ils émanent,
- séparables sans détruire la chose dont ils émanent.
Les enjeux de cette théorie sont :
- Épistémiques : montrer que toute sensation est vraie car elle est causée passivement par la réception dans l’œil d’un flux d’images ; toute erreur vient d’une opinion de l’esprit, ajoutée à la sensation, qui prononce des jugements sur le rapport entre les sensations.
- Religieux : seul existe ce qui a une provenance matérielle, donc la superstition peut être dépassée par une explication rationnelle des illusions.
- Ontologiques : on peut expliquer la vision à partir de réalités corporelles, car seuls des corps sont capables de toucher et d’être touchés, de produire un effet.
Mais :
- Comment expliquer les illusions visuelles (qu’une tour carrée paraisse ronde de loin) ? Pour Lucrèce, c'est à cause du milieu intermédiaire : de loin, les simulacres de la tour sont émoussés par l’air traversé qui les rend « ronds » ;
- Comment expliquer la vision mentale (l’imagination) ? Selon Lucrèce, certains simulacres, plus ténus, ne sont pas perceptibles par l’œil, mais par l’esprit (animus). En s’entrechoquant dans les airs, ils produisent des réalités qui n’ont pas d’existence corporelle individuelle : chimères, monstres... ;
- Comment expliquer qu’on ne voit pas, ni ne pense pas à toutes les images envoyées par les choses, ou, qu’en présence des mêmes choses, on puisse penser à des choses différentes ? Lucrèce insiste sur la notion d’attention : il faut se rendre attentif aux images pour les percevoir et les penser (focalisation).
Dans le prologue au Livre IV, Lucrèce explique pourquoi il marie poésie et philosophie :
- Pour aider l’apprenti à se convertir à une philosophie qui demande d'abandonner ses préjugés, comme si l'on enduisait de miel les bords d’une coupe contenant un médicament amer ;
- Pour la clarté du propos : par des analogies poétiques, on donne une image de ce qui est minuscule (les atomes, les simulacres) ;
- Pour gagner l’attention du lecteur : les images littéraires retiennent son attention, ce qui le force à poursuivre le raisonnement jusqu’au bout.