« Tout le monde voit bien ce que tu sembles, mais bien peu ont le sentiment de ce que tu es ; et ce peu de gens-là n’osent contredire l’opinion du grand nombre », soutient Machiavel dans Le Prince, ouvrage paru sous le règne des Médicis en 1532. L’auteur florentin y pose les principes d’une politique efficace, et affirme que le dirigeant doit « savoir entrer en mal, s’il le faut. » C’est dire que la politique ne repose pas que sur la persuasion, la force ou l’autorité, mais aussi sur la ruse. Le Prince doit être lion, mais aussi renard.
Cette leçon machiavélienne n’est pas dépassée, bien au contraire. Hannah Arendt elle-même, dans Vérité et politique, reconnaît que « le mensonge a toujours été considéré comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien et de démagogue, mais aussi de celui d’homme d’État. » Toutefois, un double problème se pose. Tout d’abord, celui de la légitimité de tels procédés manipulatoires. Sans doute est-il difficile, voire impossible, de gouverner sans mentir. Mais un seuil n’a-t-il pas été franchi au XXe siècle avec le puissant développement des moyens de propagande et du contrôle des masses ?
Ensuite, et plus profondément, se pose le problème de l’efficacité de la manipulation. À Machiavel qui soutient que « les hommes sont si simples et obéissent si bien aux nécessités présentes, que celui qui trompe trouvera toujours quelqu’un qui se laissera tromper », on opposera Spinoza, qui, sans ignorer que « bien des hommes ont l’esprit embarrassé de si nombreux et incroyables préjugés », argue, dans le Traité théologico-politique, que « s’il était aussi facile de commander aux esprits qu’aux langues, aucun gouvernement ne se trouverait jamais en péril. » Croire que l’on peut gouverner durablement une foule en la trompant, n’est-ce pas se leurrer soi-même sur les pouvoirs de la propagande et de la manipulation ? La faiblesse du mensonge et de la manipulation n’est-elle pas au cœur des reflexions d’Arendt sur la place du mensonge en politique ?