« Le premier qui, ayant enclos, s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. » Par ces mots forts, Jean-Jacques Rousseau, au début de la deuxième partie du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, pose le problème du rapport de la communauté à la propriété.
De fait, de nombreuses communautés s’efforcent de limiter et même d’abolir la propriété privée afin d’éviter l’émergence d’intérêts privés et égoïstes contraires à l’intérêt général. Dans les communautés premières, les ressources naturelles sont généralement partagées. Les individus ont un droit d’usage et de prélèvement sur les biens communs que sont les terres, les forêts ou les étangs. C’est l’appropriation privative de ces ressources communes que dénonce Rousseau. Le communisme de Marx réactualisera cette critique dans le cadre de la société industrielle en remarquant que la propriété privée des moyens de production est à l’origine de la division de la société en classes ayant des intérêts antagonistes. Notons encore que la règle de Saint-Benoît, qui gouverne la vie de nombreuses communautés monastiques, préconise de « retrancher radicalement du monastère ce vice qu’est la propriété. » Platon, dans le livre V de La République ira jusqu’à soutenir qu’il serait bon, dans une cité idéale, que les enfants des gardiens de la cité ignorassent qui est leur géniteur. Ils seraient ainsi davantage attachés à la collectivité qu’à des individus particuliers.
On comprend la logique à l’origine de cette critique de la propriété privée. Mais celle-ci n’est-elle pas un droit de l’individu et une limitation de l’emprise du collectif sur les individus particuliers ? La reconnaissance d’une sphère privée n’est-elle pas un besoin fondamental de l’individu ? Jusqu’où est-il possible de satisfaire les désirs individuels de possession sans menacer la vie communautaire ?