À en croire l’historien allemand Ferdinand Tönnies, les collectivités modernes sont davantage des sociétés (Gesellschaft) que des communautés (Gemeinschaft). Le lien social se serait distendu, le sentiment d’appartenir à une même communauté fragilisé. De fait, la solidarité, de plus en plus prise en charge par l’État, est de moins en moins vécue sur le mode de relations personnelles. La division du travail est si complexe et si ramifiée que les individus n’ont plus le sentiment de participer à une œuvre commune. Enfin, les individus, de plus en plus conscients de leurs droits, tendraient de plus en plus à faire prévaloir leurs intérêts particuliers sur l’intérêt commun.
Toutefois, ces constats doivent être nuancés. Tout d’abord, les temps de crise et de guerre révèlent souvent une persistance profonde d’un sentiment d’appartenance communautaire qui était simplement enfoui sous la surface des comportements individualistes. Ensuite, les individus continuent à participer à la vie collective en payant des impôts, en débattant du bien commun et des intérêts de tous. Un penseur comme Rousseau fait dans Le Contrat social une distinction forte entre une agrégation et une association d’individus. Il soutient que là où il n’y a ni bien public, ni corps politique, il n’y a pas de véritable communauté politique. Est-ce ainsi qu’il faut caractériser les sociétés modernes ou n’est-ce là qu’un jugement superficiel ? L’institution de l’État vient-elle défaire les communautés ou les reconfigurer en communauté nationale ?