Dans Le Paradoxe du menteur (1993), Pierre Bayard écrit : « si les Liaisons sont un grand livre sur l’illusion, c’est parce qu’elles défont [la] plénitude du sujet de l’énonciation, en mettant sans cesse en valeur le clivage dont il est l’objet et la manière dont ce clivage est produit par le langage. »
Cela signifie tout d’abord qu’il est réducteur de réduire le roman épistolaire de Laclos à une intrigue sulfureuse. Certes, le spectacle de l’immoralité et de la perversité attire l’attention, mais dans les Liaisons, le dispositif de l’énonciation importe autant que ce qui est dit. Roman de l’intelligence, les aventures s’inscrivent dans des dispositifs littéraires qui s’adressent à plusieurs destinataires, à l’instar de la charité de Valmont ou des nombreux double-sens qui font de la lettre que Valmont écrit sur le dos d’Émile un chef d’œuvre.
De plus, une lecture binaire du roman, qui distinguerait les manipulateurs et les manipulés, les roués et les dupes, reste superficielle. Valmont exerce son emprise sur la Présidente de Tourvel et sur Cécile, mais il ne parvient pas à rester extérieur aux amours qu’il simule. La marquise de Merteuil revendique sa supériorité et son détachement, mais pourquoi donc a-t-elle ce besoin de revendiquer son indépendance jusqu’à consentir à une guerre destructrice avec Valmont ?
Finalement, Les Liaisons dangereuses nous donneraient à lire les discours de personnages qui veulent croire en la possibilité d’une domination de soi et de l’autre, alors même que leurs dires réfutent en permanence cette prétention à l’autonomie et à la maîtrise.