Pour Pierre Bourdieu, la langue est à appréhender comme un marché linguistique au sein duquel les pratiques sont à la fois soumises à des évaluations et à des rapports de pouvoir symboliques, liés à la possession ou la carence des normes d’usage dominantes et légitimées.

Sur ce marché (à ne pas considérer dans son acception strictement économique), un ensemble de règles détermine alors les « prix » des produits linguistiques ; ces « prix », basés sur le rapport entre le modèle linguistique normatif et les variantes linguistiques, sont décidés par celles et ceux qui détiennent le capital linguistique et culturel perçu comme dominant, afin d’en tirer des « profits » (par exemple, une distinction sociale, le maintien ou l’amélioration d’une position sociale, et du pouvoir qui l’accompagne).

Le marché linguistique n’est pas totalement unifié. En effet, malgré l’idéologie unilingue longtemps diffuse en France, il en existe plusieurs au sein d’une même communauté linguistique. Le sociologue Pierre Bourdieu distingue alors : 

  • Le marché officiel (aussi appelé dominant), où se retrouvent les usages linguistiques perçus comme relativement conformes aux normes de la langue légitime. L’école, la justice, ou certains médias français représentent des lieux de ce marché.

  • Les marchés francs (aussi appelés périphériques), où se retrouvent les usages linguistiques qui entretiennent un degré d’autonomie plus ou moins grand avec les normes dominantes, voire un affranchissement total à ces lois. Les formes d’argot, la langue dite « des jeunes » en sont des exemples. Dans ce marché, la transgression des normes peut être un gage de virtuosité bénéfique, en termes de profit social ; comme, par exemple, la maîtrise du verlan chez les jeunes.