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Le personnage dans le récit

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Le personnage romanesque

Dans Pour un nouveau roman (1963), Alain Robbe-Grillet propose une définition du personnage de roman et précise que, sans personnage, le roman n’est pas réalisable. 

« Un personnage, tout le monde sait ce que le mot signifie. Ce n’est pas un « il » quelconque, anonyme et translucide, simple sujet de l’action exprimée par le verbe. Un personnage doit avoir un nom propre (…). Il doit avoir des parents, une hérédité (…), il doit posséder un « caractère », un visage qui le reflète, un passé qui a modelé celui-ci et celui-là. Son caractère dicte ses actions, le fait réagir de façon déterminée à chaque événement ».

Le personnage de roman est un élément essentiel du genre romanesque. Il est ce que le lecteur gardera plus facilement en mémoire. On retiendra plus facilement dans L’Assommoir, le personnage de Gervaise, au détriment de nombreux événements présents dans le roman. 

Le nom du personnage fait souvent office de titre de roman, lui donnant ainsi un rôle essentiel et central : 

  • Pierre et Jean,
  • Nana,
  • Madame Bovary,
  • Le Père Goriot…

Le personnage de roman a évolué selon les époques et les différentes finalités du genre : 

  • héros mythologique,
  • chevalier dans la chanson de geste,
  • géant à la Renaissance,
  • héros idéalisé dans le roman précieux,
  • individu ordinaire au XIXe siècle,
  • ouvrier,
  • paysan,
  • prostituée,
  • silhouette anonyme pour le « Nouveau Roman »…

Les caractéristiques du personnage

Le personnage de récit est doté d’une identité : 

  • Il peut être désigné par :
    • un nom,
    • un prénom,
    • un surnom,
    • une origine sociale,
    • un titre,
    • une place dans un groupe social ou familial.
  • Il est défini selon un portrait :
    • portrait physique, d’un point de vue externe ;
    • portrait moral, à travers sa personnalité et son caractère, mis en place le plus souvent à travers les pauses que fait le narrateur dans son récit.
  • Son portrait peut être aussi défini selon :
    • sa façon de s’exprimer,
    • son niveau de langue, transmis par des monologues intérieurs ou grâce à ses interventions au discours direct.
  • Il est aussi défini au travers de son évolution dans le récit. 


Son portrait devient complet lorsque, d’un état initial (début du roman), il atteint un état final (fin du roman). Dans Bel Ami (1885), le personnage Georges Duroy, arriviste absolu, finit par devenir Georges Du Roy, nom dont la particule prend toute son importance concernant son portrait.

Certains épisodes ont aussi un rôle primordial pour le faire évoluer :

  • rencontres,
  • conflits,
  • relation amoureuse...

Les fonctions du personnage

Parmi les différents statuts de personnages, on observe : le personnage principal autour duquel est construit le roman, le personnage secondaire qui permet de mettre en valeur le principal, le personnage faisant office de figurant, sans portrait psychologique qui peut se présenter comme : un individu fictif ou historique réel, un collectif, un héros ou être ordinaire, un lieu ou un objet personnifié.

Les fonctions du personnage apparaissent dans le schéma actantiel suivant : 

  • Le sujet réalise l’action, c’est le héros, le personnage principal ;
  • L’objet représente ce que le héros cherche à atteindre ;
  • L’adjuvant est le personnage qui aide le héros dans sa quête ;
  • L’opposant est le personnage qui fait obstacle au héros ;
  • Le destinateur est celui qui commande l’action ;
  • Le destinataire est celui qui en bénéficie.

Ce schéma peut néanmoins apparaître complexe par la volonté de donner une consistance historique et sociale au roman.

Les personnages de roman peuvent aussi apparaître comme des modèles. Au départ, l’épopée propose des héros aux qualités hors du commun, ils peuvent alors faire office de mythe, comme Ulysse dans L’Odyssée. Par la suite, ils ont tendance à s’inscrire dans des rôles stéréotypés, mais riches psychologiquement : 

  • Le libertin,
  • Le père autoritaire,
  • La femme trompée,
  • La maîtresse protectrice,
  • La prostituée généreuse,
  • Le personnage ambitieux,
  • Le militant politique,
  • Le héros de guerre…

L’ensemble des stéréotypes permet au lecteur, grâce au processus d’identification, de s’interroger sur la valeur morale des personnages. De plus, leur humanité les rend plus proches du lectorat. De ce fait, au-delà de l’évasion, ils offrent une meilleure compréhension de la société et de la vie.

L'évolution du personnage de roman au fil des siècles

Depuis l’Antiquité et jusqu’au Moyen-Âge, les personnages qui traversent les épopées (longs poèmes narrant des exploits) incarnent la bravoure tels Ulysse ou Achille qui nous sont parvenus grâce au poète grec Homère (VIIe siècle avant J-C). Les récits légendaires des chevaliers de la table ronde, eux, ont été rédigés par Chrétien de Troyes vers le XIIe siècle.

Au XVIIe, avec La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette, la psychologie du personnage de roman s’étoffe. Désormais, le personnage de roman s’inscrit dans la réalité.   

Au XIXe siècle, les romans deviennent des miroirs de notre société. Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, Rastignac dans Le Père Goriot de Balzac ou Bel Ami de Maupassant offrent aux lecteurs le récit de l’ascension sociale de leur personnage au cœur de la société de l’époque. Avec le mouvement réaliste, et notamment Zola, c’est le quotidien du personnage de roman qui est décrit. Désormais, plus de nobles ou de héros prodigieux, le personnage de roman devient un simple individu dont le lecteur suit le parcours. L’anti-héros est né.

Avec Camus, et notamment Meursault dans L’Étranger, l’écrivain renonce aux explications psychologiques. Au cours du XXe siècle, le Nouveau Roman déconstruit la notion même de personnage, mais ce courant reste assez peu populaire.

Les succès littéraires actuels prouvent que les lecteurs aiment les personnages et leurs états d’âmes.

La dimension psychologique du personnage

Même si l’on considère La Princesse de Clèves comme le modèle du genre concernant l’analyse psychologique, les auteurs romantiques poursuivent cette démarche esquissée au XVIIe siècle dans la perception du « moi ». Ils veulent montrer l’individu en profondeur en dévoilant ses passions, ses contradictions et ses interrogations à travers le « je ».

Dans René (1802), Chateaubriand (1768-1848) présente un jeune homme qui porte le même prénom que son auteur et qui s’exprime à la première personne.

« J’écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs »

Dans la préface de son roman Delphine, Madame de Staël (1766-1817) évoque sa démarche concernant le personnage romanesque :

« Observer le cœur humain, c’est montrer à chaque pas l’influence de la morale sur la destinée (…). C’est ainsi que l’histoire de l’homme doit être représentée dans les romans ; c’est ainsi que les fictions doivent nous expliquer, par nos vertus et nos sentiments, les mystères de notre sort ».

Les romanciers romantiques sont caractérisés par une forte volonté de montrer, à travers leurs personnages, une vérité morale. Le personnage devient aussi un outil pédagogique lorsqu’il évoque la passion amoureuse, comme c’est le cas pour Madame de Rênal dans Le Rouge et le Noir ou la jalousie du Comte Mosca dans La Chartreuse de Parme. L’alternance des points de vue permet d’aller toujours plus loin dans l’approfondissement de la psychologie des personnages.

La dimension sociologique du personnage

Le roman du XIXe veut aussi montrer les personnages influencés par la société. Il les présente comme des types sociaux sur lesquels il veut s’attarder pour faire réfléchir le lecteur. Dans Le Colonel Chabert (1832-1835), un officier napoléonien, supposé mort, réapparaît une dizaine d’années plus tard et tente de retrouver la place qu’il a perdue dans la société.

Cette volonté de montrer les différents types sociaux est omniprésente dans les œuvres de Balzac qui veut « faire concurrence à l’état civil ». 

« Avec beaucoup de patience et de courage, je réaliserais sur la France au XIXe siècle, ce livre que nous regrettons tous que Rome, Athènes (…), l’Inde, ne nous ont malheureusement pas laissé sur leurs civilisations. »

Le travail du romancier est, selon Balzac, celui d’un historien et d’un sociologue. Les romans deviennent des documents sur l’état de la société du XIXe siècle et les personnages en sont les acteurs principaux. Le romancier s’intéresse donc à toutes les figures possibles de personnages et certains auteurs, comme Zola, témoignent d’un grand intérêt pour le peuple qu’il observe. Il se documente, constitue des dossiers enrichis de notes, de photos et de croquis pour composer ses personnages.

La dimension scientifique du personnage

Zola définit le naturalisme comme une « formule de la science moderne appliquée à la littérature ». Ce courant se base sur les recherches et les progrès scientifiques propres à la deuxième moitié du siècle. Le romancier se fait observateur de la nature humaine.

Les travaux de Claude Bernard (1813-1878), médecin et physiologiste français, considéré comme le fondateur de la médecine expérimentale, intéressent les romanciers. Il tente d’expliciter les relations de cause à effet qui existent entre les milieux et les personnages, et d’étudier l’hérédité. La démarche scientifique s’oriente essentiellement sur la diversité sociale.

Le romancier naturaliste, et plus particulièrement Zola, doit connaître les milieux avec précision. Après s’être documenté, il compose un vaste arbre généalogique dans lequel figurent tous les membres de la famille des Rougon-Macquart. Les Rougon-Macquart sont marqués par une double hérédité : 

  1. La folie ;
  2. L’alcoolisme. 


Évoluant dans différents milieux, ils deviennent de véritables sujets à observer. Ainsi, Gervaise évolue dans le milieu des blanchisseuses : Zola montre, dans L’Assommoir, sa déchéance progressive et la détérioration de sa famille sous l’effet de l’alcool. Dans Germinal, Étienne Lantier, son fils, évolue dans le milieu de la mine, dans le Nord de la France, en pleine crise industrielle ; Jacques Lantier, son second fils, dans le milieu ouvrier, dans La Bête humaine : il est marqué par l’hérédité familiale de la folie. Il a le désir enfoui de tuer. Claude Lantier, dans L’Oeuvre, évolue, lui, dans le milieu de l’art. Nana, sa fille, se prostitue pour tenter d’échapper à son triste destin. Elle incarne, dans le roman éponyme, la société corrompue du Second Empire. Eugène Rougon, dans le milieu politique, participe au coup d’État du 2 décembre 1851, entre au Sénat et au Conseil d’État et finit ministre de l’Intérieur. Son ascension politique est décrite dans Son Excellence Eugène Rougon. Aristide Saccard, dans La Curée, évolue dans le milieu de la spéculation immobilière dans le Paris du Second Empire, celui des transformations urbaines et architecturales.

Comparant son œuvre à celle de Balzac, Zola déclare dans Documents et plans préparatoires (1870) : 

« Mon œuvre sera moins sociale que scientifique. Balzac, à l’aide de trois mille figures, veut faire l’histoire des mœurs : il base cette histoire sur la religion et la royauté (…) Mon œuvre, à moi, sera tout autre chose. Le cadre en sera plus restreint. Je ne veux pas peindre la société contemporaine, mais une seule famille, en montrant le jeu de la race modifiée par les milieux ».

La volonté de Zola de montrer des êtres singuliers étudiés dans les moindres détails connaît tout de même quelques écueils. Le romancier est victime de nombreuses critiques, dont celle qui consiste à lui reprocher de ne s’intéresser qu’à l’ « ordure » sociale et de faire de la littérature « putride ». On lui fait remarquer que les hommes ne sont pas des sujets de laboratoire sur lesquels il peut agir. La démarche scientifique du roman est limitée car le romancier transforme la documentation en fiction. La démarche naturaliste est vouée à l’échec dans la mesure où le roman est trop marqué par la science.

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