Avec l’émergence de la pensée rationnelle au sein de la cité grecque, de nombreux philosophes, mathématiciens, historiens ou grammairiens proposent des approches raisonnées et logiques du savoir et les organisent de manière encyclopédique. Naissent ainsi différentes écoles de pensée et une relation singulière vecteur même de la transmission de ces savoirs, la relation maître et disciples. Ils sont animés par une grande quête de vérité et les doutes ainsi que les interrogations sont au cœur de leur questionnement. Aussi devant le foisonnement intellectuel de la pensée grecque et devant l’ampleur de sa diffusion dans le monde romain puis dans le monde occidental, il convient de faire des choix et de mettre en lumière les grands courants intellectuels et le but qui les anime.

Posons d’abord un rappel important. La pensée grecque voit le jour dans la cité de Milet colonie grecque ionienne au VIe siècle avant J.-C grâce à l’organisation de la cité qui permet aux sages de débattre des questions du cosmos en se fondant sur l’observation et les faits et de penser de manière logique et raisonnables des phénomènes observés. Ainsi, s’est démarqué le grand mathématicien et observateur de la nature Thalès qui passe pour un être singulier, extrêmement habile et doué selon Hérodote, d’une faculté intellectuelle hors du commun. S’il passe pour le fondateur de l’école de Milet sa méthode est fondée sur l’observation des éléments de la nature et sur leur explication par la nature elle-même et non par une origine divine supposée, il n’a cependant rien écrit et reste un personnage légendaire.

Pour autant nombre de disciples le citent et se prévalent de sa pensée et de ses travaux et de ses découvertes comme Anaxymandre et Anaxymène ses successeurs et Aristote par la suite dans ses travaux sur la nature. Si cet homme passe pour le fondateur des sciences de l‘observation utilisant la géométrie pour les calculs astronomiques et a permis des avancées majeures de la pensée grecque rompant avec les généalogies divines selon Aristote, il reste un personnage nébuleux permettant à ses disciples et continuateurs d’être de véritables créateurs par leurs écrits qui matérialisent et transmettent une pensée, une théorie qu’ils ont étudiée et qu’ils ont reçue de manière orale.

Le disciple propose ainsi une continuité dynamique et la diversité des pensées montre son autonomisation progressive. Le personnage de Socrate en est un exemple singulier. Ce sont en effet Platon et Xénophon qui nous le retracent et nous montrent sa principale méthode, celle du doute et de la réfutation. Nous ne savons que peu de choses de lui si ce n’est qu’il enseignait à tous, simplement vêtu, gratuitement en parcourant la cité.

Si, ainsi, les premiers dialogues de Platon nous livrent son enseignement, les dialogues de la seconde partie montrent une autonomie de leur auteur et Socrate qui semble acquiescer et légitimer son propos. En tout état de cause, deux choses sont à retenir : sa méthode basée sur la réfutation et l’ironie met à bas les exemples sophistiques qui ne sont en rien des vérités et élabore la notion de concept ou d’idée vraie préexistant au discours, si bien que le doute est un moyen pour ses interlocuteurs de faire la recherche de la connaissance. Par ailleurs, comme Thalès, il n’a rien écrit et ses principes ont permis à ses disciples d’acquérir une autonomie de pensée singulière comme Platon le devint dans La République où il se fait politologue.

Pour le monde Romain, la relation maître et disciple est plus claire et le principe de continuité plus marqué. Rome est en effet fille du monde grec et il n’y a pas à proprement parler de philosophie romaine. Dans l'ordre philosophique, les Romains auront été des traducteurs, avec tout ce que ce mot implique à la fois de dépendance à l'égard de l'original et de recours obligé à des choix, voire à des infléchissements parfois décisifs. C'est la dépendance qui paraît bien dominer jusqu'à l'époque cicéronienne, et ce d'autant plus que, si l'aristocratie romaine s'intéresse dès le IIe siècle avant J.-C. à la philosophie grecque, cet intérêt ne se conçoit pas sans la pratique du grec et la fréquentation parfois personnelle des auteurs. On peut cependant affirmer que les trois grands penseurs dont on peut créditer la Rome antique sont Lucrèce,Cicéron etSénèque qui se rattachent à des écoles philosophiques grecques : Lucrèce est épicurien, Cicéron se réclame de la Nouvelle Académie, Sénèque est stoïcien. Pourtant Lucrèce et Sénèque ont plus fait pour la gloire et l'influence durable de l'épicurisme et dustoïcismeque les écrits, pour la plupart perdus dès la fin de l'Antiquité, de leurs inspirateurs grecs. Et, sans les œuvres philosophiques de Cicéron, on ne saurait presque rien ni de la Nouvelle Académie ni du moyen stoïcisme ni de tant d'autres doctrines hellénistiques, dont son éclectisme a su nous conserver les grandes lignes. En un mot les grands maîtres de la pensée romaine sont surtout des continuateurs d’écoles déjà existantes, en un mot des disciples qui ont pourtant eu à cœur de s’approprier des concepts voire comme Cicéron de fonder une pensée Romaine.