Le Theatrum mundi (grand théâtre du monde) est une métaphore qui trouve son origine chez les penseurs grecs de l'antiquité. Elle s’appuie sur une analogie entre le théâtre comme espace humain qui rassemble spectateurs et acteurs sans qu’ils interagissent et le monde où il semble exister des similitudes avec les fables récits mythiques et mimes représentés sur scène. Ce topos va traverser toute l’antiquité et perdurer dans la pensée chrétienne pour devenir par la suite un concept du théâtre baroque. Tout d'abord l’allégorie de la caverne dans La République (VII, 514a-517d) de Platon aborde la notion en représentant la condition humaine ordinaire de la manière suivante: la société des hommes est comparée à une société de spectateurs passifs (ce sont des prisonniers assis et enchaînés), placés dans un lieu clos (la grotte sombre qu’éclaire un feu brûlant derrière les prisonniers), qui donne l’illusion d’être le monde entier. Ces hommes inertes, fascinés par des ombres qu’ils voient s’agiter sur les parois de la caverne face à eux, se trompent du tout au tout sur ce qu’elles sont véritablement: ils s’imaginent que ce sont les êtres véritables, quand il s’agit de l’ombre projetée d’objets divers que portent sur leur tête des hommes cheminant derrière les prisonniers, sur un sentier, eux-mêmes dissimulés par un muretdu genre de ces cloisons qu'on trouve chez les montreurs de marionnettes, et qu’ils érigent pour les séparer des gens. Ainsi, pour ces prisonniers, le monde n’est rien d’autre que ce théâtre d’ombres apparemment fortuit, qui les illusionne… Allégorie de la vie des hommes tournés vers le sensible, ce récit vise à faire prendre conscience que la vie sensible est un esclavage, auquel la philosophie peut permettre d’échapper, si l’on sort de la caverne et que l’on se tourne vers les réalités vraies. Mais le monde des hommes ordinaires, que le désir philosophique n’a pas aidé à dissiper ces illusions, est bien assimilé à un théâtre d’ombres: «de tels hommes considéreraient que le vrai n'est absolument rien d'autre que les ombres des objets fabriqués». Nous sommes condamnés à ce jeu d’apparence si notre raison reste en sommeil.
Dans une autre comparaison fameuse, Platon présente les hommes comme des marionnettes forgées par les dieux (Lois, I, 644d-645c, et VII, 803c-804b). L’homme est cette fois appréhendé comme acteur d’un spectacle donné aux dieux. L’homme est traversé de pulsions irrationnelles qu’il subit, et qui le font agir sans cohérence, mécaniquement: comme une marionnette, il est mû par plusieurs fils d’airain, qui commandent ses mouvements sans qu’il les dirige à proprement parler, mais il dispose d’un fil d’or, celui de l’intelligence, qu’il peut apprendre à mouvoir. L’éducation aboutie doit ainsi viser à coordonner l’ensemble des mouvements de ce corps-marionnette, ce qui ne peut s’obtenir qu’en travaillant à faire de ce fil d’or le fil maître et enfin sortir de l’illusion.
Par la suite, dans sesEntretiens, Épictète, dans l’école stoïcienne, introduit la notion de rôle à jouer pour l'homme dans le monde, rôle que l’homme ne doit pas outrepasser et qui constitue pour lui comme un devoir envers les dieux. Jouer un rôle revient à accomplir sa destinée et Bien vivre pour un homme signifie vivre en suivant la nature, autrement dit en suivant la raison. C’est ce qui conduit à mettre en œuvre la vertu sous toutes ses formes, à accomplir son devoir, et se rendre maître de son destin ; toute déviation par rapport à cela est faiblesse, et même erreur. « Rappelle-toi que tu es l’acteur d’un drame qui est tel que le veut son auteur : ton rôle sera court s’il veut qu’il soit court, long s’il veut qu’il soit long. S’il veut que tu joues un mendiant, c’est afin que tu joues ce rôle avec talent. Et aussi s’il veut que tu joues un boiteux, un haut responsable, un simple particulier. Car ce qui te revient, c’est de bien jouer le personnage qu’il t’a confié. Quant à le choisir, c’est à un autre que cela revient » (Manuel d’Épictète, XVII).
Nous ne décidons pas du rôle, mais un rôle adapté nous revient, qu’il nous appartiendra de bien jouer. En effet, c’est, pour les stoïciens, un Destin invincible qui nous conduit, et qui fait de nous un puissant ou un misérable, compte tenu de ce que nous sommes. Ce Destin se confond avec la Providence, car ce qui est à l’œuvre en toutes choses, c’est la Raison divine, qui façonne, anime et règle toutes choses. Dès lors, seule la qualité du jeu dépend de nous: nous serons bons ou mauvais acteurs. Notre liberté se réduit à bien jouer, autrement dit à agir vertueusement en toute circonstance, d’autant que nous ne connaissons pas l’étendue exacte de celle-ci alors que l’acteur sort de scène lui:«Il en va de la vie comme d’une pièce de théâtre: ce qui importe ce n’est pas qu’elle soit longue, mais qu’elle soit bien jouée. Où que tu finisses, cela n’a pas d’importance. Finis où tu voudras, seulement prépare un bon dénouement» (Sénèque,L.à Lucilius, 77, 20).De fait, le jeu du bon acteur est un modèle pour penser la vie de sagesse, parce que tous les gestes de l’acteur sont déterminés par la recherche du meilleur jeu possible: «ce n’est pas à l’art de la navigation ou à celui de la médecine que selon nous la sagesse ressemble: c’est plutôt au jeu de l’acteur» (Cicéron,Des termes extrêmes des biens et des maux, III, 24). Cette notion est donc très importante dans la pensée antique et irrigue la pensée grecque comme la pensée romaine. C’est enfin une notion baroque dont se sont inspirés nombre d'auteurs de France d’Angleterre d’Italie et d’Espagneau XVIe et XVIIe siècle. Elle est considérée comme un lieu commun ou un cliché puisqu'à Don Quichotte qui pontifie sur la «comédie de ce monde», Sancho Pança rétorque «Fameuse comparaison! quoique pas si nouvelle que je ne l'aie entendue faire bien des fois», (Don Quichotte II, 12). Le démiurge de la réalité ou de la fiction y est "le Créateur", figure double de Dieu et de l'auteur dans Le Grand théâtre du monde de Caldéron, comme le mage Alcandre deL’illusion Comique de Corneille, deux personnages à partir desquels les tragédiens baroques posèrent les questions du pouvoir créateur du metteur en scène, à l'instar du Tout-puissant. Ce sera une lecture du monde à travers l’illusion théâtrale qui sera ainsi proposée.