Parallèlement aux grands mythes qui visent à expliquer la naissance et la structuration de l’univers dans le monde antique, des modes de pensées logiques et scientifiques voient à leur tour le jour et proposent une nouvelle lecture du monde fondée sur la raison. Cette dernière voit le jour dans le monde méditerranéen qui n’est pas encore scindé entre Orient et Occident.

Un rappel historique s’impose : la religion et la mythologie de la Grèce classique s'enracinent dans un passé mycénien. Au XIIe siècleav. J.-C., cette civilisation mycénienne s'effondre en raison des invasions doriennes: toute une forme de vie sociale, tout un univers spirituel et psychologique disparaissent et se transforment. L'effacement du Roi divin au profit d'un État qui est l'affaire des citoyens prépare une double innovation: l'institution de la cité et la naissance de la pensée rationnelle.

À partir du VIIIe siècle av. J.-C., dans le cadre d'une reprise des relations avec l'Orient, la Grèce affirme son identité originale, sa volonté de laïciser sa pensée politique. Si l'on veut dresser l'acte de naissance de la raison grecque, c'est ce tournant du VIIIe siècle qu'il convient de comparer avec l'arrière-plan mycénien. C’est en effet la naissance de la Polis qui va tout précipiter. Si elle ne signifie pas immédiatement la naissance de la raison grecque, c’est bien elle qui permettra à la pensée grecque de se forger.

La Polis instaure le prestige de la parole, met en avant le débat, la discussion et les confrontations d’idées. L’univers spirituel de la Polis est marqué par trois types d’hommes: les Sages, les sophistes et les philosophes. Le Sage est un citoyen considéré comme supérieur, plus intelligent qui détiendrait une parole véritable. Les sophistes sont des personnes intelligentes qui vendent leur vérité car ils considèrent qu’il n’y a pas de vérité absolue et ils sont très présents dans l’espace public. À l’opposé, les philosophes hésiteront à exposer leur savoir dans la sphère privée d’une secte ou dans le débat public et donc à prendre part à l’activité politique. De plus, les citoyens se considèrent comme des semblables: le principe d’égalité naît (isonomia) au VIe siècle).

Mais l’égalité du monde grec n’est pas celle que nous connaissons aujourd'hui, elle se résume sur le plan politique à l’égale participation de tous les citoyens à l’exercice du pouvoir.

Par ailleurs, au sein de la cité, pour maintenir un juste équilibre et éviter les conflits, les religieux et les Sages vont en quelque sorte créer le Droit et la Justice, qui devront s’appliquer de manière égale pour touset inspirer des réflexions morales et politiques. D’une certaine manière le Logos passe du champ religieux ou champ profane. Cette nouvelle organisation est maintenue par la loi dans un ordre hiérarchique et l’égalité entre les citoyens est dite géométrique et proportionnelle. Face au cosmos divin, va parallèlement se créer un cosmos naturel, la cité cosmos circulaire centré et uni autour des citoyens. C’est dans ce contexte que la raison grecque va progressivement naître vers le VIe siècleav. J.-C. dans la colonie grecque ionienne deMilet.

Les mythes vont en fait progressivement disparaître et on va tenter d’expliquer l’origine du monde, non pas grâce à des puissances divines mais grâce à des réalités naturelles. Cependant, ceux que l’on appelle les « physiciens » gardent un discours proche des théologiens : ils substituent aux puissances divines des réalités physiques mais le principe d’expérimentation n’est pas connu encore. Il s’agit là d’un réel affranchissement. Les Grecs ont une vision du monde influencée par l’astronomie et la géométrie. On localise la Terre au centre de l’univers. On pense que si la Terre est immobile et ne tombe pas, c’est qu’elle est à égale distance de tous les autres points de l’univers. Les grecs voient donc des relations d’égalité dans la nature. Ils veulent organiser le Cosmos social de la cité et le pouvoir de la cité de la même manière que la nature est organisée. C’est pour cela qu’on décide de disposer le pouvoir au centre, et à égale distance de tous les citoyens et d’assurer ainsi l’équilibre de la cité. S’il y a donc un éloignement progressif des mythes c’est grâce à l’instauration du débat et des échanges qui permettent un jugement indépendant sur la nature et l’origine du monde. Ainsi « la raison grecque est fille de la cité » pour reprendre les mots de Jean-Pierre Vernant. Hyppocrate et Gallien pour la médecine et l’astronomie sont de bons exemples, mais surtout Thalès de Milet, connu pour être un grand mathématicien, géomètre et philosophe de la nature du VIe siècle est célèbre pour avoir pris ses distances avec les mythes et pour avoir pratiquer une méthode basée sur l’observation et la démonstration. Aristote s’en inspirera beaucoup. Il en est de même pour les présocratiques qui remplaceront les récits poétiques par les arguments et preuves présentés avec une cohérence logique ; on retiendra parmi eux : Anaximandre, Pythagore, Héraclite, Parménide, Anaxagore…

Voilà dressés le contexte et les causes de l’émergence de la pensée rationnelle grecque qui sera à la source de nombreuses écoles de philosophies romaines.