Angels in America, récompensé par le prix Pulitzer, le Tony Award et le prix britannique Laurence Olivier Award en 1993, est une pièce écrite, sous les années Reagan, par Tony Kushner, auteur dramatique particulièrement prolifique, dont le premier volet Angels in America : Le Millenium approche créé en 1987 est représenté à San Francisco. Le second volet Perestroïka créé en 1989 est, quant à lui, présenté au New York Public Theater en 1993 avant d’être réuni sur la scène du National Theatre de Londres. La pièce connaît ensuite une adaptation non seulement à la télévision en 2003 réalisée par Mike Nichols et portée par une distribution prestigieuse (Meryl Streep, Al Pacino et Emma Thompson), mais aussi à l’opéra en 2004. Elle est également mise en scène au théâtre en France en 1994 par Brigitte Jaques-Wajeman, dont s’inspire directement Arnaud Desplechin pour son adaptation de la pièce.

Ainsi, c’est, après avoir mis en scène Père d’August Strindberg en 2015 pour la Comédie-Française, qu’Arnaud Desplechin, cinéaste et metteur en scène de théâtre, propose en 2020 une adaptation originale de la pièce de Tony Kushner qu’il fait entrer dans le répertoire des Comédiens du Français en raison notamment de sa modernité et de son écho avec le monde actuel : « Cent échos des combats d’hier viennent illuminer notre présent ». C’est le choc de l’élection de Trump à la présidence des Etats-Unis qui semble avoir constitué un déclic pour entreprendre une mise en scène originale d’Angels : « Je crois que c’est ce jour-là … que le projet de venir visiter les Angels est né. … Hier Reagan avant été élu. Aujourd’hui Trump. »

Pour cela, il s’appuie sur la traduction française de Pierre Laville, auprès de qui Tony Kushner se présentait comme « Juif, homosexuel et marxiste ».

En effet, la pièce remet en question les valeurs fondamentales de la société américaine et se caractérise par un mélange de ton et de genres (réalisme et merveilleux), mais aussi par une écriture hybride : histoire individuelle et histoire politique s’entremêlent avec en fond l’épidémie du sida. Desplechin se montre dans son adaptation particulièrement sensible à l’« impureté ». Des différents thèmes (maladie, mort, homosexualité, politique, religion, immigration, écologie, puissance et menace nucléaire…) et de la structure qu’il conserve dans la forme, le metteur en scène et homme de théâtre fait un travail de condensation afin de pouvoir adapter la pièce aux contraintes matérielles de la Salle Richelieu de la Comédie-Française. En collaboration avec le scénographe Rudy Sabounghi, il s’inspire notamment du procédé cinématographique du split screen (écran partagé en deux ou plusieurs parties présentant des actions simultanées) ou encore du fondu pour éviter le noir entrecoupant les scènes et choisit de confier les accessoires propres au décor aux comédiens qui les installent et les retirent en fonction de leurs entrées ou sorties sur scène. Il souhaite conserver le merveilleux inhérent à la pièce et sous-entendu par le titre Angels en proposant une machinerie qui permette aux comédiens jouant les anges d’être suspendus à des câbles. Sa volonté de rester fidèle à la création de Kushner l’amène, en revanche, à concevoir 44 changements de décor, ce qui constitue une contrainte supplémentaire exprimant l’ambition de restituer une pièce « belle et [qui] offre le merveilleux ».