En quoi les renouvellements de l’œuvre à l’ère contemporaine avec des œuvres prenant la forme de pratiques sociales, d’évènements, de gestes, de rites, de happening comme sujets et moyens d’expression questionnent-ils nécessairement la place, la nature et l’importance de la matérialité comme constituant d’une œuvre ?
La matérialité de l’œuvre s’expérimente lors de sa création, lorsque l’artiste prend en compte la valeur expressive des matériaux pour donner à voir et faire sens. Les données matérielles et sensibles de l’œuvre déterminent la primauté du langage plastique des matériaux sur les interprétations possibles.
Les artistes comme les Nouveaux Réalistes n’hésiteront pas à élargir les données matérielles de l’œuvre en intégrant des éléments du réel non-artistiques. Reconnaissant l’objet du quotidien dans l’œuvre, objet devenu matériau ou objet détourné, son interprétation vient enrichir la lecture de l’œuvre. Les morceaux de réel incorporés aux œuvres de Martial Raysse, comme Made in Japan - La grande odalisque (1964) suffisent à questionner les relations qu’entretiennent la représentation, la figuration d’une matérialité et la présentation du réel, de la réalité tangible, dans l’œuvre.
Ainsi, la matérialité de l’œuvre s’expérimente aussi par le spectateur, lors de son exposition, en étant sensible aux données matérielles et immatérielles constitutives de l’œuvre, vue ou vécue en vrai, dans sa réalité concrète et non en reproduction.
En art contemporain, la notion de matériau est élargie : les données numériques, les sons, les gestes, la lumière, les mots, les idées, les ambiances… sont considérés comme des matériaux plastiques avec lesquels les artistes créent. La définition du matériau en arts plastiques pourrait alors désigner une substance quelconque, d'origine naturelle ou artificielle, matérielle ou immatérielle, employée par l'Homme pour fabriquer des objets artistiques, ayant une réalité concrète ou pas.
Ainsi la dématérialisation d’une œuvre ne nous prive pas d’une analyse de sa matérialité (si les matériaux utilisés sont des sons, des mots, des effets lumineux) et de son immatérialité (lui donnant une existence non palpable, non tangible).